(omaggio al cinema di Michelangelo Antonioni)
[ Paris. Avril 2020. ]
Confiné : Je vais développer…
Confinée : Encore ? Il te faut combien de temps ? Il faut laver Hugo !
Confiné : C’est la dernière.
pensée – 1 : « …interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour »
pensée – 2 : « … nous permettre de rebâtir une société plus juste et plus vivable ».
pensée – 3 : « … et réorienter l’économie en fonction des impératifs de la transition écologique »
pensée – 4 : « …qui a pour effet de mettre en sourdine notre brouhaha quotidien et de pouvoir mieux percevoir un bruit imperceptible par nos oreilles : celui de la Terre »
Confiné : Tu sais, hier soir j’ai revu Zabriskie Point, tu vois la scène finale quand tout explose ?
Confinée : Oh… oui… C’est un film sublime. Alors, qu’est-ce que ça donne ta pellicule ?
Confiné : C’est curieux, c’est comme s’il y avait un lien… regarde !
…
Confinée : Mon Dieu, je me souviens… t’imagines si ça devait se passer maintenant ?
Confiné : Bah, je crois que ça se passe aussi maintenant.
Confinée : C’était tellement impressionnant, j’avais oublié… elle est étrangement belle ton obsession pour la pellicule, c’est surprenant à chaque fois.
Confiné : Mon obsession pour l’illusion du réel tu veux dire ?
Confinée : Non pour la pellicule. Pour le souvenir, si tu préfères. Ce qu’il y a sur le film c’est tout de même du réel, ce n’était pas une illusion, c’est arrivé vraiment.
Confiné : Ça l’est maintenant.
Confinée : Quoi ?
Confiné : Une illusion.
Confinée : Qu’est-ce qui est une illusion maintenant ?
Confiné : Tout.
Confinée : Je suis confuse.
Confiné : Moi aussi.
…
Confinée : Tu vas pouvoir en faire quelque chose de ces photos ?
Confiné : Je ne sais pas… ça dépend de… je ne crois pas en tout cas.
Confinée : On verra.
Confiné : Oui… on verra…
FIN
citations
pensée – 1 : Emmanuel Macron dans son allocution télévisée le 12 mars
pensée – 2 : Cyril Dion – écrivain et cinéaste
pensée – 3 : Libération 2 avril 2020
pensée – 4 : Le monde, 13 avril 2020
NOTE D’INTENTION
L’approche cinématographique.
Les images de la série blow-up ont été prises en argentique au mois de février 2020 mais je les ai développé qu’en avril. En les regardant j’ai remarqué qu’elles prenaient un sens dramatique plus fort si je les parcourais en séquence. Effectivement j’ai assisté et photographié l’incendie du dernier étage de l’immeuble en face de mes fenêtres du début jusqu’à l’arrivé des pompiers. Un cinéaste l’aurait filmé, moi je m’occupe de l’image fixe mais comme j’ai suivi un événement qui a évolué dans un laps de temps assez court, voilà que mes photos existent en tant qu’ensemble, comme des photogrammes. Pourtant elles restent fixes.
L’hommage à Antonioni.
Des 36 photos de la pellicule, j’en ai choisi cinq qui me convenaient. Je regardais à ce moment-là une retrospective sur Michelangelo Antonioni et dans le film « blow-up » le personnage principale (un photographe) découvre d’avoir empêché un assassinat dans un parc en agrandissant un détail d’une photo. En même temps la scène finale de Zabriskie Point (une autre oeuvre du cinéaste italien) est une séquence impressionnante dans laquelle on voit une explosion qui se répète plusieurs fois. Je me suis inspiré de ces deux moments pour découpler mes cinq images et créer un climax qui permet au spectateur de rentrer dans le feu qui habite la scène.
La forme.
J’essaye souvent d’interroger aussi le langage dans son aspect esthétique pour rechercher des sensations. Ici j’ai effectué des agrandissements pour « zoomer » dans l’image et en tirer des détails de la fumée ou du feu. Ce procédé étire le grain de la pellicule qui devient trop présent, étrange, on dirait qu’il déforme l’image. Cela aide à s’approcher petit à petit vers une sorte d’émotion brute, presque désagréable et pourtant attrayante qu’un feu destructeur pourrait générer.
Le texte.
Pour rester dans un univers cinématographique j’ai ensuite décidé de remplacer une didascalie explicative avec un dialogue évocateur. Je trouve en général plus intéressante la démarche évocatrice qui laisse l’imagination du spectateur travailler par rapport à l’explication pure et simple qui impose une seule vision. Ici le texte a une importance fondamentale et il n’accompagne pas l’image, il en est complémentaire. En outre, le dialogue mélange la dimension du passé avec le présent et dévoile ma vision du confinement et des positions ambiguës et ahurissantes de la classe dirigeante et des média. Ce n’est que mon opinion et j’espère me tromper… mais aujourd’hui c’est mon sentiment !
L’architecture.
Le protagoniste de la suite d’images est un immeuble populaire qui renverse l’ordre des choses. Un appartement représente dans l’imaginaire populaire une stabilité, un réconfort, un abri des intempéries, c’est une forteresse qui nous protège. Or, ici cette forteresse brûle. Elle brûle comme nous en ce moment, cloués dans son intérieur. Ces intérieurs qui sont les nôtres, que les architectes imaginent et créent pour l’homme mais qui peuvent devenir des cages dangereuse si un fragile équilibre allait se rompre par hasard…