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Fuite 2.0

FUITES 2.0 est un parcours introspectif que j’ai entrepris avec les détenus de la prison de Porto Azzurro sur l’île d’Elbe.

Mon point de départ a été Michel Foucault, qui, dans Surveiller et Punir, disait :

“Sous le nom de crimes et de délits, on juge bien toujours des objets juridiques définis par le Code, mais on juge en même temps des passions, des instincts, des anomalies, des infirmités, des inadaptations, des effets de milieu ou d’hérédité ; on punit des agressions, mais à travers elles des agressivités ; des viols, mais en même temps des perversions ; des meurtres qui sont aussi des pulsions et des désirs”

Je suis parti à la recherche d’éléments sensibles qui pouvaient dévoiler ce qui fait des meurtriers des hommes, des êtres contraint à l’extraordinaire… des albatros.



Dans l’espace d’un an (depuis septembre 2018 à septembre 2019) pour trois fois et pendant 10 jours à chaque fois, j’ai rencontré les détenus et j’ai mis en lumière leur condition et en particulier deux aspects de la détention qui m’ont frappé à Porto Azzurro: LE SOUVENIR et LA FAMILLE RECOMPOSÉE.

Le souvenir

La première partie de mon travail est en noir et blanc. Pendant mon séjour je demandais aux détenus que je rencontrais d’apporter un objet intime et personnel et je les photographiais tout de suite après qu’ils m’avaient raconté l’histoire de l’objet.



Ceci car le récit faisait surgir une émotion. Cette émotion sur leur visage, ou dans leurs corps, devenait réelle et physique et me permettait de photographier le souvenir de la liberté qui était désormais, à cet instant, matière. Un souvenir liée au passé évidemment, mais encore plus puissant car il était empreint de leur vécu tragique.



Portraits de famille

La deuxième partie de la série est en couleur et elle est centrée sur le portrait de famille. En passant du temps à la prison, je me suis rendu compte que le sentiment noble de l’amitié est extrêmement présent en milieu carcéral. De vrais familles recomposées se forment et permettent aux détenus de survivre, de se retrouver.

Évidemment dans les rapports humains une rencontre amicale nourrit un projet commun mais surtout peut aider à surmonter les moments de découragement absolu. Les détenus vivent au quotidien ce découragement causé par la réclusion du corps qui amplifie la douleur de l’âme. Seul un ami, un compagnon de route peut comprendre et soulager ce sentiment.
Il me semblait donc intéressant de mettre en images cet aspect si noble que cette condition extrême fait naitre de manière si douce.
Nous avons alors cherché avec plusieurs famille (ici je vous propose une seule famille à cause de la limitation dans le nombre d’images à envoyer) l’origine du lien qui les unissait les uns aux autres et formait «cette fratrie». Mais cette famille ne peut exister qu’au sein de la prison, elle est temporaire et illusoire, basée sur des fondements soit spirituels ou culturels ou simplement géographiques, mais possible qu’entre ces murs. Ces liens deviennent par conséquent d’autant plus forts et quelques fois chaotiques qu’ils sont tissés dans ces conditions extrêmes de longues peines, d’éloignement et par des individus meurtris.


Karim

Karim m’a raconté en secret qu’il est assez seul à Porto Azzurro.
Des fois il prie avec Malek et Mohammed. Seule la prière, la gymnastique et l’héroïne lui permettent de tenir ici, il se considère un mauvais garçon.



Dan

Dan et ses trois petits frères, liés par leurs origines Roumaines et leur foi orthodoxe, ont réussi à obtenir il y a quelques années l’autorisation d’avoir des perruches en cellule. Le premier couple fut celui de Dan, un des nouveau-né fut offert à Murariu, c’est celui de la photo qui, pendant mon séjour, est devenu à son tour papa. Aujourd’hui 80% des détenus de Porto Azzurro s’occupent chacun d’un ou plusieurs perroquets. On entend chanter de partout quand on se balade à l’intérieur de l’établissement.



Frank

Frank depuis peu a fait son baptême, avec à ses cotées sa famille, dans laquelle Mbaye, musulman, a une place de choix de par ses origines. Ils vont à la messe ensemble, ils mélangent les croyances car pour eux ce qui compte c’est de croire en Dieu, puis chacun l’appelle comme on veut. Dans une des photos nous avons vécu à nouveau le moment du baptême avec Eddy dans le rôle du prêtre.



Les Napolitains

Mariano, Maurizio et Francesco sont trois napolitains avec la passion commune pour les belles femmes. Chaque tatouage couvre le nom d’une femme perdue mais tellement aimée qu’il fallu inscrire son nom dans la peau.

Mais pourquoi faire ça? Je demande naïvement.

– Parce quand on aime on vit dans le présent, comme quand on braque une banque!



Les Siciliens

La famiglia pour les Siciliens est sacrée. Quand j’ai pris la photo de groupe j’ai découvert qu’il y a deux vrai frères. Naïvement toujours, j’ai demandé qu’est ce qu’ils faisaient tous deux ici, j’ai eu un sourire en réponse.

Ils sont ici depuis longtemps et pour longtemps, ils partagent de longues promenades avec le monsieur en noir et blanc, une icone et pas seulement ici… Ce monsieur m’a dit que si j’allais à Palerme dans son quartier c’est à dire le premier petit port avant le grand port commerciale, je devais dire que j’étais un ami de Salvatore et les portes de la ville se seraient ouvertes à moi.



MO&MO

Chaib et Ezzine sont nés dans la même rue de Casablanca, ils ont grandi ensemble puis chacun a pris sa voie. Il y a trois mois qu’ils se sont retrouvés devant l’entrée de l’école dans la prison de Porto Azzurro. Depuis ils font ce voyage ensemble.



Petite note technique et esthétique : le titre de l’atelier est né des portraits que j’ai pris en noir et blanc qui présentent d’évidentes fuites de lumière. En effet, pour des raisons de sécurité, ne pouvant apporter à l’intérieur de la prison du ruban adhésif noir pour couvrir un point sensible de mon appareil photo, j’ai décidé tout de même de procéder. J’ai oublié le problème technique, en assumant le risque du résultat. Le hasard fait bien les choses: les fuites semblent emmener les images ailleurs… et les sujets même deviennent métaphores oniriques de l’humain, grâce à cette « inévitable » nécessité qui est devenue enrichissement esthétique.

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